seuls. Et Rémy de Gourmont, quelle gloire ne lui promet-il pas ! Mais alors pourquoi ce silence sur tout le reste de sa vie ? Dabord la guerre, mort des Soirées de Paris, ensuite mort de Rémy de Gourmont en 1915, mort d’Apollinaire en 1918, avant même la parution du Château de l’Étang Rouge, premier livre édité en 1926. Et puis, oui, je sais, l’amour effréné de ce qu’elle tenait pour “la vérité”, sa franchise quasiment sauvage - la civilisation française ne permet pas la franchise, disait-elle - souvent bien cruelle, éloignait d’elle certains qui l’eussent volontiers aimée et servie ; mais ce n’est point là raison suffisante que de grands personnages ont eu un caractère difficile qui ont été quand même aimés et glorifiés, car on admet tout de la part du capricieux génie. Non, il faut le dire, la raison la plus vraie, la plus pesante, ne peut être que l’excessive richesse de l’œuvre qui en quelque sorte a fait peur en doulce France. Il est très probable que Roch Grey eut eu la gloire plus facile si elle avait écrit en russe ou en italien - ce qui eut pu très bien advenir - mais quelque chose a fait - mettons son destin - qu’elle se fit écrivain français. Or cette formidable densité de son écriture où les idées ne s’en vont jamais seules mais tressées et serrées, on peut même dire tissées à tel point que tout ce qu’on met à côté d’elle parait liquide et vide, cette densité, dis-je, est inaccoutumée à l’esprit français qui aime lire à la volée. N’a-t-on pas vu de tous temps en France les écrivains un peu trop “quatrième dimension” laissés pour compte, à commencer par notre grand poète Maurice Scève. Toutefois notre époque a consacré un Mallarmé, un Paul Valéry, Roch Grey dans son au-delà, peut largement espérer que son tour va venir, il n’est pas possible que nous refusions toute cette complexité qu’elle apporte à la langue française, notre belle langue qui a un peu trop tendance - sous prétexte de la fameuse clarté - à se complaire aux mots pour ne rien dire. Reaucoup d’hommes célèbres meurent en mourant, d'autres, inconnus, ne vivent qu’après leur mort, je veux croire que ce retour- nement va s’opérer pour la grande figure disparue au mois d’août dernier et que nous n’attendrons pas qu'un Christophe Colomb de bibliothèque nous fasse l’affront de découvrir Roch Grey en l’an 2000. Pierre ALBERT-BIROT

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